Joseba Permach

2018-10-01

Le temps des corps nus

On dit souvent que si on a peur de parler en public il suffit d’imaginer ce public nu. Je n’ai jamais fait le test, mais je comprends bien ce que cela signifie: nu, on est tous pareil, tout est plus horizontal et donc la peur qui elle, est verticale, ce réduit.

S’il s’agit d’un article sur l’économie, vous vous demanderez certainement pourquoi j’ai écrit le paragraphe antérieur. Je l’ai écrit car il est temps de mettre à nu le discours des experts en économie et mettre à jour ce qu’il y a sous ce langage confus. Il est temps, si l’on veut vivre plus libre, d’établir une relation plus horizontale entre les économistes et les citoyens citoyenneté.

Nous avons dit que l’espace de la peur est verticale. Cependant le discours de ces experts recherche justement cela: construire un niveau d’incompréhension aux yeux de la base sociale afin qu’elle se retrouve sans ressources et démunie. Pour aller droit au but, voici notre hypothèse: l’économie s’habille d’un discours incompréhensible afin que les citoyens ne comprennent pas son fonctionnement et nous faire croire que l’oppression du système est propre à elle et immuable. De ce fait, on nous empêche d’agir sur celui-ci.

Dans l’interview réalisé à Berria en 2016, Ha-Joon Chang, l’économiste hétérodoxe d’Oxford disait que l’économie est devenue l’idéologie du modèle social que nous vivons” (Chang, 2016). Autrement dit, le discours économique dominant rempli, face à la société, la même fonction que l’idéologie, c'est-à-dire, la légitimation du système capitaliste et patriarcal. Le discours économique dominant est fonctionnel pour le système. Et c’est justement pour cela qu’il est si important de faire des recherches, de mettre à nu et dévoiler ceux qui veut être caché.

Comment pourrions-nous résumer le message qu’on nous transmet à travers le discours économique dominant? En deux mots, il nous dit quelque chose dans le genre: “ l’économie est une science. Tu ne peux pas la comprendre, car la science, c’est difficile. Mais ne t’inquiète pas, car le système capitaliste et patriarcal ainsi que sa dernière version qu’est le néolibéralisme n’ont pas d’alternatives. Le marché libre est le seul système naturel, le reste c’est de l’utopie, une rêverie”. Voilà ce que la majorité des experts en économie nus disent lorsqu’ils parlent sous leur discours confus et sombre. En le rendant naturel, ils éloignent toute possibilité d’un horizon alternatif.

Mais est-ce ainsi réellement? Nous voulons ici partager une réflexion. Mais avant de parler du discours utilisé autour de la crise économique actuelle, nous allons présenter les racines de celle-ci.

Jusqu’à nos jours, le libéralisme économique à été le paradigme dominant des sciences économiques et le marché libre en est sa base. Si nous prenons comme référence L’Homo economicus (typologie de personne qui prend toujours des décisions rationnelles), chacun devrait prioriser son intérêt personnel dans ses activités quotidiennes. Ensuite La main invisible du marché va agir en médiateur entre l’offre et la demande. Ainsi, l’équilibre pourra être établi au bénéfice de tous de même que l’économie se développera pour le bénéfice de la société. Comme la main invisible fera bien son travail, Le libéralisme économique pourra rejeter la main mise de l’Etat. Voilà donc en résumé les deux piliers du libéralisme économique qui soutiennent la base idéologique du système capitaliste: le marché à la capacité de s’autoréguler et donc l’Etat doit s’impliquer le moins possible.


Adam Smith fut le créateur du libéralisme économique. C’est à lui que nous devons la métaphore de la main invisible. Si nous voulons analyser le discours des économistes, il nous est indispensable de prendre en compte cette métaphore. Les métaphores on une grande importance dans notre vie quotidienne, dans notre discours et par conséquent dans notre manière d’interpréter la réalité. Blumenberg, spécialiste dans l’étude des métaphores dit que l’être humain est un symbolicum. Selon lui, il imagine et remplace sans cesse le monde par autre chose de familier afin de le dominer. Il éloigne le regard de ce qui lui est inconnu et s’adresse à ce qu’il connaît. (Blumberg, 1999)

Adam Smith est connu par la plupart comme un économiste. Il fut pourtant, aussi, professeur de rhétorique. Ainsi il pu facilement établir le remplacement dont parle Blumenberg: couvrir de la main invisible le mécanisme du libre marché, qui nous semble si compliqué. Ainsi nous passons de la main omniprésente de Dieu à celle de la main invisible. En voilà une science!

Mais pourquoi a-t-elle duré si longtemps la métaphore de Smith? Selon les spécialistes en la matière il y a deux raisons: d’un coté la main permet d’établir une métaphore avec la nature (plus précisément avec l’anatomie) et ce type de métaphore est très effective à l’heure d’illustrer une fonction idéologique. Nous développerons cette idée plus tard. Et d’un autre côté, elle est invisible. Dire que le mécanisme qui guide l’économie est invisible rend plus difficile son analyse.

Dans la mesure où le processus de l’équilibre entre l’offre et la demande est invisible, il nous est inutile de chercher à la comprendre. De même que la main de Dieu, la main invisible, reflète un caractère magique. Et on nous invite non pas à comprendre mais à croire.

Mais que se passe-t-il vraiment dans la réalité? Quoi qu’en dise le discours du libéralisme économique, la main invisible n’a montré aucune capacité à équilibrer le marché. Comme Marx l’avait prédit, le capitalisme est un système qui va de crise en crise, surproduction ou bulle financière.

Voyons-en les conséquences :

Un système économique qui produit sans cesse des crises, provoque et diffuse de manière durable la pauvreté, le chômage et la précarité. Il condamne les femmes au travail reproductif et au secteur les plus précaires, agrandi la fracture sociale, exploite de plus en plus les ressources naturelles sans aucun contrôle ni garantie et construit le développement du Nord sur la misère du Sud. C’est une réalité depuis longtemps et la globalisation et le néolibéralisme des dernières décennies n’ont fait que l’accroître et l’aggraver.

Comment est-ce possible donc de dire qu’un système qui provoque de telle crises et de telles conséquences est un système stable? Comment est-ce possible que le discours de la majorité des économistes ne mette pas en doute ce système? Comment est-ce possible qu’encore dans les facultés d’économies on continue à faire des analyses basées sur le mirage de la main invisible?


Max Neef, l’économiste hétérodoxe Chilien explique que si l’économie était une science, les économistes agiraient de la sorte; ils mettraient de côté toute théorie défaillante et se mettrait à en chercher une autre (Max-Neef y Smith, 2011). Or, il n’en est rien.

Qu’ont fait par exemple les experts en économie lors la dernière crise, lorsqu’on a clairement vu que la main invisible (le libre marché) ne fonctionnait pas? Au lieu d’accepter les défaillances du système, on a inventé un nouveau discours qui rend le problème naturel et le fétichise (avec une vie propre). Pourquoi faire? Pour continuer à légitimer le système.

Dix années se sont écoulées et nous pouvons diviser en trois phases les discours de ces experts. Lors de la première phase, on nous parlait de la crise comme un phénomène météorologique ou naturel. Tsunami financier, turbulences ou tremblement de terre, termes utilisés pour naturaliser la crise et en cacher les responsables. Si c’est un phénomène naturel il n’y a pas de responsables. Nous avons pu constater encore une fois, que le libre marché ne fonctionnait pas mais, plutôt que de l’accepter, les économistes orthodoxes ont caché les défaillances de la main invisible avec des métaphores de la nature.

Après celui de la catastrophe naturelle, vient la seconde phase du discours. Qu’y a-t-il après une catastrophe naturelle? L’opération de sauvetage évidement; et ainsi on a pu légitimer, par exemple, le plus grand transfert (vol) d’argent des mains publiques aux mains privés jamais réalisé, l’opération de sauvetage des banques. Nous avons dit que le libéralisme économique refuse, en théorie, la main mise de l’Etat, mais dans la situation d’exception de la catastrophe, les libéraux et les néolibéraux ont défendu une main mise durable de l’État. Et lorsque la métaphore du sauvetage n’est plus assez forte, on va fétichiser l’économie et on va lui donner vie en disant qu’elle est malade et qu’il faut, pour la guérir, des interventions chirurgicales et des ordonnances . Le discours économique s’habille ainsi de métaphores médicales. Qui va refuser l’aide à un malade? Ainsi toute aide est justifiée. Voici le but de cette métaphore.


Celui qui fut responsable d’économie du PSOE disait ceci en parlant du sauvetage des banques: “El Gobierno abrió en canal al sistema financiero para intervenirlo quirúrgicamente, pero aún no sabía ni cuales eran los órganos dañados ni el instrumental quirúrgico que disponía” (Rodríguez Piñeiro, 2012). Il est lui même économiste même si il parle comme un médecin. Il est socialiste, mais vu la quantité qu’il avait offert aux banques, il semble être plus un néolibéral.

Et finalement, la troisième phase du discours dure jusqu’à nos jours. Et le but en est de rendre la maladie chronique. Pourquoi? Pour pérenniser l’intervention de l’État dans la logique de la maladie. Lagarde, la haute responsable du FMI parlait ainsi dans une visite faite à Bilbo: “ les cicatrices de la crise sont profondes et il faudra des années pour les guérir” (Lagarde, 2014) et appelle dans la foulée à une main mise de l’État. Le voilà le libéralisme économique!

C’est par contre ne toute autre affaire, est envers qui, et dans quelle direction on effectue cette intervention. Dans la logique de la maladie l’argument reste valable pour par exemple, continuer le vol permanent de caisses publiques vers les mains privées. Nous ne trouverons pas d’explication à ce phénomène de la part des experts en économie dans les médias.

Nous avons de manière rapide et succincte analysé les métaphores majeures utilisées par les économistes. Au lieu d’expliquer ce qu’il c’est passé et de reconnaître que le marché et le paradigme économique libéral ne fonctionnent pas, ils ont construit, ces dernières années, un nouveau discours métaphorique. L’objectif est cependant le même, nier les défaillances du système actuel, donner un caractère naturel à la crise et en cacher les responsable, justifier les politiques économiques injustes et pendant ce temps parler au citoyen comme si nous étions des imbéciles.

Pour la énième fois, le système a craqué et nous en avons subi les lourdes conséquences. Au lieu de l’accepter, ils on reconstruit le même système avec un discours métaphorique sur la nature et la médecine et continuer ainsi à légitimer leurs institutions (par exemple le marché).

Avec la main invisible l’économie a englouti la politique. Le discours économique nouvellement reconstruit veut légitimer des politiques qui nous empêchent d’avoir une vie digne. Pendant que les économistes orthodoxes masquent leurs incapacités, les conséquences de la crise sont subies sur des milliers et des milliers de corps nus. Nous l’avons déjà oublié, l’économie à pour but des conditions de vie dignes, de vies dignes qu’il faut construire sur ces corps nus.

Le temps des corps nus et de la vie digne est pourtant sur le point d’éclore. Nous sommes de plus en plus nombreux à mettre en doute le paradigme dominant de l’économie, de plus en plus nombreuses à revendiquer qu’il faut faire tomber ce discours dominant, à penser qu’il n’y a pas de production sans reproduction, à être persuadés que puisque la terre n’est pas inépuisable, qu’il faut en finir avec ce système. Nous sommes oui, de plus en plus à défendre la souveraineté des peuples et des citoyens. En fin de compte, nous sommes de plus en plus à revendiquer, face au discours déguisé et capricieux du capital, les besoins et les demandes des corps nus.

Remarque: le contenu de cet article est basé sur le livre “ Esku Ikusezinaren itzal luzea. Ekonomilarien erretorikaren kritika” publié par UEU. Vous y trouverez le contenu de cet article ainsi que d’autres thèmes de manière plus développée.